Honoré de Balzac
Né à Tours le 20 mai 1799
Mort à Paris le 18 août 1850
Pour beaucoup de Tourangeaux, Balzac se limite à “Le Lys dans la vallée”. Etudié à l’école, je trouvais que c’était un peu ampoulé, ce qui n'est plus le cas plusieurs années après. Nous étions trop jeune.
Si seulement on avait commencé avec “La peau de chagrin” je pense que beaucoup d'entre nous auraient continué à lire l’auteur caféinomane. Car mine de rien, comme il disait, Le Père Goriot et Eugénie Grandet c’est quand même balèze.
Pour vous faire une idée, voici un PDF, trouvé sur le site Gallica de la BNF.
Vers la fin du mois d’octobre dernier, un jeune homme entra dans le Palais-Royal au moment où les maisons de jeu s’ouvraient, conformément à la loi qui protége une passion essentiellement imposable, et sans trop hésiter, monta l’escalier du tripot désigné sous le nom de numéro 56. – Monsieur, votre chapeau, s’il vous plaît ? lui cria d’une voix sèche et grondeuse un petit vieillard blême, accroupi dans l’ombre, protégé par une barricade, et qui se leva soudain en montrant une figure moulée sur un type ignoble.
Quand vous entrez dans une maison de jeu, la loi commence par vous dépouiller de votre chapeau. Est-ce une parabole évangélique et providentielle ? N’est-ce pas plutôt une manière de conclure un contrat infernal avec vous en exigeant je ne sais quel gage ? Serait-ce pour vous obliger à garder un maintien respectueux devant ceux qui vont gagner votre argent ? Est-ce la police tapie dans tous les égoûts sociaux qui tient à savoir le nom de votre chapelier, ou le vôtre, si vous l’avez inscrit sur la coiffe ? Est-ce enfin pour prendre la mesure de votre crâne et dresser une statistique instructive sur la capacité cérébrale des joueurs ? Sur ce point l’administration garde un silence complet. Mais, sachez-le bien ! à peine avez-vous fait un pas vers le tapis vert, déjà votre chapeau ne vous appartient pas plus que vous ne vous appartenez à vous-même : vous êtes au jeu, vous, votre fortune, votre coiffe, votre canne et votre manteau. A votresortie, le JEU vous démontrera, par une atroce épigramme en action, qu’il “vous laisse encore quelque chose en vous rendant votre bagage. Si toutefois vous avez une coiffure neuve, vous apprendrez à vos dépens qu’il faut se faire un costume de joueur.
L’étonnement manifesté par l’étranger quand il reçut une fiche numérotée en échange de son chapeau, dont heureusement les bords étaient légèrement pelés, indiquait assez une âme encore innocente. Le petit vieillard, qui sans doute avait croupi dès son jeune âge dans les atroces plaisirs de la vie des joueurs, lui jeta un coup d’œil terne et sans chaleur, dans lequel un philosophe aurait vu les misères de l’hôpital, les vagabondages des gens ruinés, les procès-verbaux d’une foule d’asphyxies, les travaux forcés à perpétuité, les expatriations au Guazacoalco. “Cet homme, de qui la longue face blanche n’était plus nourrie que par les soupes gélatineuses de M. d’Arcet, présentait la pâle image de la passion réduite à son terme le plus simple : dans ses rides il y avait trace de vieilles tortures, il devait jouer ses maigres appointements le jour même où il les recevait ; semblable aux rosses sur qui les coups de fouet n’ont plus de prise, rien ne le faisait très-saillir ; les sourds gémissements des joueurs qui sortaient ruinés, leurs muettes imprécations, leurs regards hébétés, le trouvaient toujours insensible ; c’était le Jeu incarné.
Lire la suite : La peau de chagrin