Touraine Magnifique

Tours et la Touraine - Introduction

Tours vu de la Loire

On a vanté de tout temps la grâce et la douceur du pays de Touraine ; on n'a peut-être jamais assez dit la noblesse et la grandeur calme de ses paysages aux lignes harmonieuses, aux teintes légères. Il en est peu de plus typique et de plus frappant que celui où s'élève la ville même de Tours. La Loire y décrit, au pied des coteaux de Saint-Symphorien et de Saint-Cyr, une grande courbe à peine accentuée, mollement, comme il convient au fleuve paresseux, encombré de bancs de sable et d'îles verdoyantes. Elle s'y étale avec une majesté tranquille, et rien n'égale la large beauté des horizons qu'on découvre des coteaux qui la dominent, des quais qui la bordent, des ponts qui la traversent. Aux heures surtout où le soleil à mi-hauteur fait vibrer les vapeurs de l'atmosphère, aux saisons incertaines où la nature n'a ni l'éclat absolu de l'été, ni la sécheresse grise de l'hiver, des nuances infiniment délicates se révèlent qui viennent ajouter à la noblesse harmonieuse du dessin le charme tendre et discret du coloris. Ce n'est pas ici un pays de lumière éclatante, de pittoresque excessif, de beauté frappante ; mais la séduction pénétrante s'en fait sentir peu à peu, douce et invincible.

Marché au fleur sur Le boulevard Béranger

Il en est à peu près de même pour la ville et pour l'art qui s'y est développé. La beauté ni le pittoresque n'en ont rien qui s'impose de prime abord ; il ne faut pas chercher ici les émotions fortes de Venise, de Nuremberg ou de Bruges. On voit de loin la masse des toits gris s'étaler tranquillement dans la plaine que borde une ceinture verte tachée de maisons blanches ; le large ruban de la Loire limite la vieille ville au Nord ; la nouvelle va rejoindre le Cher parallèle au Midi ; quelques clochers pointent çà et là avec quelques pignons d'un blanc doré. On pénètre: les rues sont claires, plutôt élégantes ; de grands boulevards plantés de vieux arbres s'égayent souvent de marchés aux fleurs : la pierre des maisons toute blanche, paraît neuve ; elle se dore et s'effrite dans les vieux quartiers, mais garde presque toujours son éclat. Des constructions régulières, agréables, mais rien de très saillant. On peut passer, circuler, aller ses affaires ; on a l'impression d'une jolie ville, à l'animation modérée, assez riche, un peu banale et sans grand caractère. II semble que, si l'on interrogeait les habitants, c'est à peu près ainsi qu'ils la définiraient. On les étonne en cherchant chez eux autre chose. Insistons cependant, laissons la ville neuve, quittons les grandes voies, fouillons les vieux quartiers. Forçons le Tourangeau indifférent à nous révéler le cloître Saint-Gatien qu'il ignore ou néglige, franchissons la porte banale qui cache le cloître Saint-Martin : pénétrons dans les allées de maisons dont les façades neutres dissimulent des merveilles de grâce et d'élégance. Rappelons-nous surtout : évoquons le passé, de patients chercheurs nous ont facilité la besogne: le vieux Tours va nous apparaître au milieu du Tours moderne.

Place foire le Roi

Si ses monuments n'ont pas, sauf quelques-uns, la célébrité et l'intégrité qui font se pâmer le touriste hâtif, quantité de vestiges vont nous y retenir, dont beaucoup sont d'une qualité rare sinon très éclatante et d'une importance historique considérable ; des ensembles même vont ressusciter pour nous, dont le pittoresque pour n'avoir rien de troublant ni d'excessif n'en sera pas moins séduisant et instructif. Des destructions lamentables se sont produites à diverses époques, des trésors d'art se sont dispersés : sans nous abandonner des regrets superflus, des études d'intérêt rétrospectif, nous pourrons au moins indiquer la valeur et la place de ce qui fut jadis la gloire de la ville, et nous verrons ainsi se recomposer devant nous un tableau d'ensemble, une histoire artistique continue, dont beaucoup de moments seront très brillants : ce sera celle de l’art tourangeau et par instants, du reste, celle de l'art français lui-même.

La Basilique Saint Martin

C'est la ville de Tours qui fera naturellement, ici, l'essentiel de notre recherche et nous ne saurions, bien entendu, ajouter au tableau des richesses d'art qu'elle nous présentera, toutes celles que renferme la Touraine clans ses anciennes abbayes, ses églises et ses nombreux châteaux. De petites villes comme Loches, comme Chinon, comme Amboise, mériteraient une étude spéciale qui, pour plusieurs, a déjà été écrite, mettant en relief leur histoire, leur aspect pittoresque et la variété séduisante des monuments qu'elles renferment encore malgré les ravages du temps et des hommes. Mais la visite de Tours se complète d'ordinaire et très logiquement, par celle des principaux châteaux groupés aux environs, dans les vallées de la Loire, du Cher, de l'Indre et de la Vienne; notre tableau de l’art tourangeau pourra se compléter aussi par une revue rapide de ces grands châteaux de Touraine, élevés et décorés du XIe au XVIe siècle, le plus souvent par des artistes (dont le centre d'action était Tours même. Nous nous bornerons du reste, dans cette partie, à quelques indications essentielles, sans prétendre, bien entendu, à épuiser la matière qui est des plus riches.

L'ancien hôtel de ville de Tours

Nous ne prétendons pas présenter ici une œuvre d'érudition originale les monuments et les artistes de Tours et de Touraine ont été l'objet, depuis plus de soixante ans, de recherches passionnées et souvent heureuses de la part de plusieurs générations de savants, dont quelques-uns comptent parmi les maîtres de l'archéologie moderne. Quarante-sept volumes de Mémoires, quatorze de Bulletins représentent l’œuvre de la Société archéologique de Touraine, fondée en et nous ne saurions même donner ici l'indication de tous les travaux intéressant notre sujet, qu'ils renferment. Nous ne pourrons non plus, quelque regret que nous en ayons, indiquer à chaque fois les sources où nous avons puisé nos renseignements: le cadre de cette étude ne nous le permet pas. Une note bibliographique succincte mettra seulement le lecteur à même de se rendre compte des principaux travaux d'ensemble ou de détail qui ont précédé le nôtre. Nous tenons à déclarer, en outre, combien nous sommes redevables l'ensemble des publications, anciennes ou récentes, des membres de la Société Archéologique de Touraine.

A propos de "Tours et les Châteaux de Touraine"

Le texte d’introduction de ce guide de voyage a été publié 1907. Il est signé Paul Vitry, historien de l'art il est nommé conservateur du département des sculptures du musée du Louvre en 1905. Au-delà de cet ouvrage il a tissé plusieurs liens avec la région, (en tout cas plus qu’Henri Bergson :-) car en 1910 il réorganise le musée des beaux-arts de Tours, puis, responsable du plan de mise à l'abri des œuvres du musée du Louvre, il est affecté en 1939 au château de Chambord où une partie des œuvres du département des sculptures du musée du Louvre a été évacuée.

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